Divisions Nationales : demi-finales

Divisions nationales open bridge France

Retour sur les trois week-end de la compétition


Demi-Finales

Après une belle performance en phase de poules, qui nous a vu terminer à la 3ème place, nous voici en demi-finales de la compétition contre l’équipe phare de la compétition, l’équipe Zimmermann. Cette équipe, composée de 4 des 6 champions du monde de 2023 a écrasé la phase de poules, finissant premier, très détachés. Nous avons d’ailleurs perdu assez nettement contre eux 17 Pvs à 3, comme beaucoup à vrai dire. Nous ne sommes donc pas pronostiqués favoris pour ce match, mais nous avons au moins l’avantage du format relativement court de 64 donnes, qui augmente la variance !

Anne-Laure et moi commençons contre la paire Kalita – Nowodaski, deux champions du monde qui ont longtemps été un partenariat fixe mais qui jouent désormais ensemble de manière plus occasionnelle. Une opposition de grande qualité à n’en pas douter. De mon côté, je suis un peu stressé, d’une part car c’est la première fois que j’atteins ce stade de la compétition, et d’autre part parce que je suis retransmis sur Bbo et Twitch devant un certain nombre de téléspectateurs. Mais au moins, je n’ai pas de pression au niveau du résultat, car personne ne s’attend à une victoire de notre part.

Je vais directement être mis dans le bain dès la première donne, sur laquelle je relève :

1) Multi

Je commence par passer, dans l’optique de contrer d’appel les coeurs dans une second temps, mais la séquence prend un tournant inattendu quand Kalita passe l’ouverture de 2, montrant une main avec 6, parfois 5 carreaux et une allergie à l’une des deux majeures possibles de son partenaire. Anne-Laure réveille à 2 et Nowodaski marque un temps d’arrêt avant de passer. Il semble avoir un fit carreau, et j’ai bien peur que les carreaux ne soient ouverts dès la première levée à 3SA : je commence donc par dire 3 pour chercher une alternative à 4 ou 4♠. Anne-Laure répond 3 à mon cue-bid, sur laquelle je dis 3SA, ce qui devrait montrer un choix entre 4 et 3SA.

Nous n’avons pas réussi à trouver le fit pique, mais j’échappe heureusement à l’entame carreau : Kalita entame du 10 de trèfle et la dame du mort écrase le valet de Nowodaski. J’ai désormais besoin de trouver la dame de pique pour réaliser mes 9 levées. A priori, tout semble indiquer que Nowodaski est 3631, et j’ai toutes les chances de jouer la dame de pique chez lui sans indication supplémentaire. Cependant je ne suis pas pressé, et peut être que je pourrais trouver une dame de pique seconde chez Kalita avec quelques informations supplémentaires… Je commence par tirer l’as de coeur, pour la défausse carreau de Kalita. Je rejoue trèfle pour la défausse coeur de Nowodaski. Kalita rejoue trèfle, que je duque, puis trèfle. Je prends et j’en rejoue. Nowodaski a bien réussi, après une certaine souffrance, à défausser deux carreaux et un coeur, mais Kalita rejoue pique dans ses deux petits et je table. Voilà un début agréable !

D’autres bonnes donnes passent pour nous, sans gros coup néanmoins, quand arrive la donne 6.

J’ai :

Après mon ouverture d’1, Anne-Laure répond 2♣, forcing de manche et mon adversaire de gauche intervient par 2 à vulnérabilité favorable. Quelle est votre enchère ?

Les adversaires vont probablement monter rapidement à 4 et il faut décrire au mieux son jeu dès ce tour. Plusieurs enchères sont raisonnables : 2♠, naturel et irrégulier, pour trouver le fit pique au plus vite, 3♣, pour expliciter le fit trèfle, ou encore 3 ou même 4 pour montrer une courte/chicane coeur avec un fit trèfle. J’ai choisi 2♠ sans grande conviction en me disant que je pourrai nommer les trèfles sur 4.

Et maintenant ? Nous ne jouons pas de soutien mineur inversé, donc Anne-Laure n’a pas forcément de trèfle dans son jeu. La chicane coeur est évidemment une très bonne nouvelle pour jouer un chelem, d’autant plus qu’Anne-Laure n’a pas l’air d’avoir beaucoup de points perdus dans cette couleur (elle aurait pu contrer, ou passer forcing). Cependant, la qualité de mes atouts est très mauvaise et je pourrais bien me retrouver dans un contrat exécrable sans les intermédiaires utiles en face… Je choisis donc de sagement passer après une courte réflexion.

Anne-Laure possédait malheureusement toutes les intermédiaires et le chelem gagne sur un mort inversé – on coupe les coeurs de la main longue qui devient la main courte. Néanmoins, nos adversaires ont une excellente défense à coeur, moins chère que la manche même au palier de 6, qui vient très bien avec la main de Sud. En l’occurrence, il n’a pas voulu nous remettre sur les bons rails et a préféré passer 5.

Jacek Kalita, ici en train de suivre ses coéquipiers sur BBO (crédits photo : FFB)

Après un 3SA sans difficultés, je relève une main forte et missfitée, en face du barrage de ma partenaire :

Notre ouverture de 2♠ provient généralement de 6 cartes, mais peut être réalisée avec 5 cartes seulement dans la couleur d’ouverture et une main agréable. Il est certain que je n’ai pas assez de jeu pour jouer une manche, mais mes adversaires peuvent également ne pas avoir de bon contrat dans la ligne. Le contrat de 2♠ me semblant chuter au maximum d’une levée dans un scénario catastrophe, je me risque à un surcontre, pour essayer de pénaliser mes adversaires. Je ne peux pas assumer un contre à 3m tout seul, et cela permettrait à ma partenaire de contrer 3♣ avec 3 cartes à ♣ et une main correcte, sachant que j’ai de l’opposition un peu partout.

La séquence a pris une tournure quelque peu inattendue, mais je n’ai pas grand-chose à ajouter. Ma partenaire est minimum puisqu’elle n’a pas pu contrer 2SA et je n’ai donc aucune garantie de faire chuter ce contrat.

Après une bonne entame (carreau) et un bon flanc, nous faisons chuter le malheureux déclarant sans communications de deux levées. Un rapide coup d’oeil au diagramme me permet de voir que le contrat de 2♠XX n’était pas particulièrement joyeux, car l’ouverture d’Anne-Laure était très légère. Sans doute un bon score pour nous !

Nous enchaînons par un bon flanc sur la donne 9, où nous avons mis en difficulté le déclarant à 3, qui a fini par chuter un coup très compliqué qu’il aurait pu gagner. Nous jouons ensuite sur la 11 4-1 au lieu de 3=, poussés par nos adversaires, mais gagnons 3, filés à l’entame, sur la 13 alors que nos adversaires ont 3♠ sur table. La 14 est une partielle plutôt favorable pour eux, où nous nous sommes retrouvés à 3♠ en misfit total pour -1.

Sur la dernière donne du segment, nous atteignons le bon contrat de 6 avec les deux jeux suivants dans le silence adverse :

Je reçois l’entame du 5, que je prends au mort pour faire l’impasse coeur : si la dame est placée, j’ai gagné mon contrat. Malheureusement, mon valet est pris de la dame et mon adversaire rejoue coeur après une très longue réflexion. Je purge le dernier atout et nord défausse un trèfle. Faut-il désormais faire l’impasse ou l’expasse à pique ?

Analysons tout ça : j’ai besoin de défausser un carreau à coup sûr, mais je serais très content si je pouvais aussi défausser un trèfle, afin d’éviter l’impasse dans cette couleur. Pour cela, aucune différence entre l’impasse et l’expasse : je gagne avec le roi second ou les piques 4-3 de manière équivalente. A moins que ? Si le roi de pique est derrière avec la dame de trèfle, Sud aurait pu battre le coup en rejouant trèfle et non coeur, pour casser mes communications. En revanche, avec le roi troisième placé, il ne pouvait absolument rien faire contre l’impasse, si ce n’est me donner une option perdante en rejouant coeur ! Content de ce raisonnement, je choisis de faire l’impasse… Qui perd au roi.

Dommage, il avait essayé de me filer le coup, mais je crois que mon raisonnement était correct !

Au final, nous gagnons le segment 48-44, après avoir mené de 40 points avant les trois dernières donnes. Stéphane et Pierre ont très bien commencé, tout comme nous, mais ils ont eu deux catastrophes sur les donnes 14 et 15. Enfin, sur la dernière donne, nos adversaires en salle fermée Multon Zimmermann se sont arrêtés paisiblement à 4. Malgré tout ça, nous menons de 4 points, et c’est une bonne surprise !

Le segment complet :

Nous enchaînons avec Anne-Laure un deuxième segment, cette fois contre la paire Multon Zimmermann. Frank Multon est le partenaire historique de Zimmermann, mais il ne fait pas partie de l’équipe Suisse championne du monde pour des raisons techniques – ayant déjà représenté la France et Monaco, il doit attendre 5 ans pour prétendre représenter un nouveau pays.

La match va très mal démarrer pour notre paire : sur la deuxième donne, Anne-Laure prend une décision très responsable :

La main d’Anne-Laure :

Vert contre rouge, il est possible que 4♠ soit une défense fructueuse contre 4, notamment si on chute de deux à 4♠ contre la manche qui gagne, soit 8 Imps. Anne-Laure a plongé à 4♠, mais je n’avais pas la main rêvée : nous chutons de 3 levées contrées après un très bon flanc, alors que 4 chutait. Je pense qu’il est meilleur de dire 3♠ au tour précédent, enchère compétitive que je pourrai prolonger à 4♠ avec la courte à coeur.

Nos adversaires empaillent ensuite une manche non vulnérable sur une impasse, avant d’appeler un chelem correct après une séquence assez peu contrôlée. Les petits bons et les petits mauvais coups s’alternent assez équitablement, jusqu’à la donne suivante :

1. Texas ♠
2. 6♣+4

Et je suis à l’entame avec :

Qu’entamez-vous et pourquoi ?

J’ai entamé coeur, en me disant simplement que les potentielles levées de piques n’allaient pas disparaître au vu de mon opposition carreau. Mais c’est le drame :

L’entame coeur offre l’impasse sur un plateau d’argent : sans elle, pas de remontrée et pas une trace de 11ème levée !

J’aurais dû m’en douter : comment justifier autrement ce surcontre de Nord quand j’ai tant d’opposition mineure dans la main et que ma partenaire a tenu le surcontre ? 1400 points de différence à l’entame ! Learning the hard way…

Les dernières donnes ne feront pas beaucoup d’écart, et nous sortons de la salle assez déçus avec une mauvaise feuille. Marion et Dona sortent également avec deux gros mauvais coups, dont un sur la 29 où elles ont filé 4. Heureusement, elles ont égalisé le chelem appelé par hasard par nos adversaires, et nous nous en sortons à « seulement » -30.

Anne-Laure et moi sortons pour le troisième segment, où nous perdons 10 points supplémentaires. Il va falloir un sacré miracle pour finir ! Nous allons affronter la paire que nous n’avons pas encore croisée, Klukowski-Gawrys. Cette autre paire polonaise a fait des ravages pendant de longues années, notamment en étant la paire n°1 quand la Pologne a gagné les championnats du monde. Gawrys n’est cependant plus tout jeune, et c’est son dernier tournoi avec la team Zimermann.

Le match commence très mal, puisque nos adversaires déclarent un 6 millimétrique, qui gagne avec les coeurs 4-2 ou l’as de pique placé.

J’aime beaucoup leur séquence :

1. Unicolore carreau FM, 6322 ou courte coeur.
2. L’enchère clé avec d’excellentes cartes.
3. Contrôle trèfle sans contrôle ♠, propositionnel de chelem.
4. Contrôle pique et ARD d’atout !

Quelques donnes peu favorables plus tard, je tente une ouverture d’1 avec 15 points réguliers moches, suivie d’un rebid à 1SA pour déplacer un coup. Malheureusement, pour les mêmes raisons, Anne-Laure propose la manche à 10 et nous nous retrouvons à 3SA-2. S’ensuivent un certain nombre de donnes plates, et deux donnes de chelem tendues chez nos adversaires : l’un est plutôt bon mais chute sur une coupe à l’entame, et l’autre est moyen mais a le mérite de gagner. Ils s’arrêtent à la manche sur les deux. Autant vous dire qu’on est assez loin du compte pour gagner ce match !

A la donne 27, Gawrys doit entamer dans la séquence à deux 1♠ 2♠ 2SA 4♠ avec :

2SA étant une enchère d’essai généralisée (le palier de 3 étant réservé aux enchères de chelem). Il paraît incongru de faire une entame agressive sans raison valable, et les deux entames normales, carreau et pique, permettent de faire une défausse urgente du coeur :

Gawrys a normalement entamé pique mais nos partenaire pourraient bien ouvrir de 2 et entamer la couleur, battant le contrat sans aucune difficulté.

Sur la suivante, Gawrys ne trouve pas un flanc difficile mais trouvable contre 3SA et nous empochons une manche vulnérable indue. Après deux donnes qui ont l’air plutôt plates, je relève :

Et la séquence démarre :

1. Semi naturel, FM

Contrez vous pour l’entame ? Le contrat probable de mes adversaires étant 3SA, il m’a paru intelligent de dire que j’avais une nette préférence pour l’entame trèfle plutôt que coeur, notamment parce que ma partenaire n’a pas 5 beaux coeurs, ayant passé 1. Mais nos adversaires finissent à 5, et l’entame trèfle que j’ai indiquée à Anne-Laure n’est franchement pas un grand succès, l’entame pique battant en ligne :

Dommage, c’était une bonne occasion, mais peut être n’auraient ils pas dépassé 3SA si je n’avais pas contré.

A deux donnes de la fin, Gawrys va beaucoup faciliter une décision d’Anne-Laure : Qu’auriez vous fait après le début :

1. Fit 4ème 10-11.
2. Un fit fort ou une demande d’arrêt avec un unicolore carreau

Avec :

Je trouve qu’il est très difficile de ne pas dire 5 sachant qu’on n’a pas encore donné le fit au partenaire.

En revanche, dans cette séquence, on a déjà donné le fit, et le partenaire contre après avoir annoncé l’arrêt : il ne veut vraiment pas que l’on surenchérisse ! C’était la séquence à la table et Anne-Laure a correctement passé pour deux levées de chute, alors que 4 ne gagne pas. Un vrai bon coup !

Sur la dernière donne, je relève :

Je pense que j’ai fait une enchère assez mal jugée, à savoir 1SA. J’aurais du réévaluer ce 10 et ce 9 de coeur, qui sont des cartes très puissantes. Par exemple, en face du valet ou de la dame seconde, j’ai 3 arrêts dans la couleur alors que je n’en aurais aucun sans toutes ces intermédiaires ! Elles valent bien 1 point.

Après cette mauvaise enchère, j’ai une seconde chance d’exprimer le potentiel de ma main, et je contre mes adversaires : ils sont en misfit, nous majoritaires en points, et j’ai une bonne opposition à l’atout : je ne vois pas vraiment comment ils pourraient gagner ce contrat. Je sors le carton rouge et marque 500 points quand Anne-Laure possède 14 points dont DV de coeur secs. Malheureusement, 3SA gagne…

Nous sortons avec Anne-Laure avec peu d’espoir : il faudrait vraiment que nos partenaires aient tout fait parfaitement et aient eu de la réussite avec les chelems pour que nous ayons une chance. Stéphane et Pierre sortent peu de temps après d’un air un peu déçu : ils ont manœuvré tous les chelems dans le bon sens, mais ont filé deux 3SA, dont un car Stéphane a mal compris l’explication en anglais de son adversaire. Nous gagnons tout de même la mi-temps de 15, ce qui nous place au final à une vingtaine de points de nos adversaires. Nous sommes à la fois contents de ne pas avoir fini loin de cette redoutable équipe, mais aussi déçus parce que nous avons perdu un certain nombre de coups de 10 franchement évitables et qu’il y avait tout à fait la place de gagner.

Nous espérons bien avoir une nouvelle occasion de nous qualifier en finale l’année prochaine ! Avant cela, je tiens à remercier mon équipe et ma partenaire pour ce beau parcours, ainsi que tous mes lecteurs pour avoir suivi assidûment mes aventures dans cette belle compétition 🙂

Moi et mes coéquipières, dans l’ordre Anne-Laure, Marion et Donatella (Crédit photo : FFB)

Les 4 polonais de l’équipe Zimmermann, qui remporteront par la suite la finale contre l’équipe Soulet

A bientôt pour de nouvelles aventures bridgesques !

Luc Bellicaud
Luc Bellicaud

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