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L’approche de l’été est le moment idéal pour relire les grands classiques… du bridge. Le jeu est depuis toujours commenté, porté, animé par une littérature foisonnante et inventive grâce à laquelle on peut se replonger dans les bases, vivre le suspense haletant de parties de légende, s’immerger dans la tête d’un champion ou même rire aux éclats. Cette tradition du livre si spécifique du bridge, qui relie des générations de joueurs, est déjà à elle seule toute une histoire.

livres publiés.

Le record de Terence Reese a été dépassé il y a quelques années déjà par David Bird, avec 153 livres publiés à ce jour.

Écrire pour diffuser, pour codifier ou pour enseigner. Depuis que le jeu existe, nombreux sont les très grands champions, les professeurs et autres joueurs qui ont pris la plume pour marquer les pages blanches de leur empreinte. «Aux débuts du bridge, la télévision n’existait pas. La seule façon de savoir ce que les gens avaient joué était d’écrire», explique Philippe Cronier, fin connaisseur de la littérature de bridge.

Cette tradition n’a jamais cessé. «Le jeu se prête bien à l’écriture. Et on peut facilement le lire et suivre les descriptions, pour les enchères comme pour le jeu de la carte», ajoute l’Américain Larry Cohen, auteur dans les années 1990 du best-seller The Law of Total Tricks et de nombreux autres livres par la suite. Au début du XXe siècle, l’avènement du bridge moderne a donné lieu, déjà, à de très nombreux ouvrages, notamment aux États-Unis. En 1930, le Contract Bridge Blue Book d’Ely Culbertson, écrit pour donner à tous les règles du bridge contrat telles que les avait codifiées Harold Vanderbilt, fut un grand succès de librairie. Dans les années 1940 et 1950, les livres de Charles Goren contribuèrent à porter le jeu à un sommet de popularité. Son Contract Bridge Complete, publié en 1942 et écrit pour diffuser ses idées sur le nouveau standard américain d’enchères, fut également un succès commercial.

Larry Cohen
Larry Cohen @D.R.

En France, à cette même époque, Pierre Bellanger écrit Les Impasses au bridge, paru en 1936. «Il y développe un certain nombre de techniques et de théories qui sont très modernes et dont on se sert encore. Bellanger est le premier avatar d’un genre d’écrivains qu’on va beaucoup trouver en Angleterre ou aux États-Unis : le champion écrivain», souligne Philippe Cronier. Si ces livres sont surtout destinés à des bibliophiles passionnés, d’autres sont de vrais incontournables pour quiconque s’intéresse de près au jeu.

Champions de bridge, champions de l’édition

Over my Shoulder

Immense joueur et belle plume, Terence Reese a écrit de très nombreux livres. Reese on Play – sur le jeu de la carte – paru en 1948 et destiné à des joueurs déjà expérimentés, reste notamment dans les mémoires. Mais c’est surtout à la méthode “Over my shoulder” que son nom est associé. Utilisée d’abord dans Play Bridge with Reese (1960), elle permet à son lecteur d’être immergé dans la tête et la réflexion de ce champion. «Il fait vivre le bridge de l’intérieur. Et donne une vision très subjective du jeu. Il décrit la table, les adversaires et ce qu’il se passe avec un véritable talent de conteur. Cela introduit une dimension humaine, note Philippe Cronier, et la plupart de ses livres sont considérés aujourd’hui encore comme des musts de la technique.»

Autre immanquable, l’Écossais Hugh Kelsey. «Tous les champions français ont eu, à un moment donné, un livre de Kelsey sur leur table de chevet», affirme Philippe Cronier. Il n’a pas provoqué de phénomène de vente en librairie comme d’autres mais le succès critique est indéniable. Ses deux premiers livres, Killing Defence at Bridge et Advanced Play at bridge sont indispensables à toute librairie technique sur le bridge. Kelsey est aussi à l’origine de l’un des grands classiques de la littérature de bridge, Adventures in Card Play. Écrit avec le joueur hongrois Geza Ottlik et publié en 1979, il eut un succès retentissant. «Il s’agit d’un roman sur jeu de la carte. Les deux auteurs nous mettent en face de curiosités techniques et on va découvrir de nouvelles façons de jouer. Il est considéré par les experts comme une somme technique indépassable», explique Philippe Cronier.

Hugh Kelsey
Hugh Kelsey

Si le jeu de la carte évolue peu et que ce genre d’ouvrages peut trouver un public encore aujourd’hui, il en va autrement pour les enchères, plus en mouvement. Tous les anciens livres d’enchères sont-ils pour autant dépassés ? «Oui, répond catégoriquement Philippe Cronier. En ce qui concerne cette partie du jeu, il y a une obsolescence. Quand on ne joue plus comme ça, on ne joue plus comme ça.» Mais il nuance aussi son propos. «Il y a aussi tout ce qui concerne le jugement. Et dans ce domaine, il y a quelques livres dont la lecture serait à recommander aux jeunes générations. Je pense notamment à celui de Jeff Rubens, The Secrets of Winning Bridge (1969) ou d’anciens livres de Pierre Albarran ou José le Dentu. Ils restent intéressants à explorer aujourd’hui.»

Seul frein, ils ne sont pas réédités. Mais il est toujours possible de trouver des éditions anciennes sur internet, une mine d’or pour trouver ces perles et les volumes épuisés. Plus proches de nous, quelques livres ont considérablement marqué les esprits. Publié en 1992, aux États-Unis, The Law Of Total Tricks de Larry Cohen s’est écoulé à plus de 100 000 exemplaires dans les années suivant sa sortie et dans sa version anglaise. Il a par la suite été traduit dans de nombreuses autres langues. À l’époque, son partenaire Marty Bergen l’informe sur cette théorie élaborée dans les années 1950 par le Français Jean-René Vernes. «Personne ne la connaissait vraiment alors je me suis dit qu’il fallait écrire dessus. J’en ai imprimé quelques centaines et je n’aurais jamais imaginé qu’il devienne un best-seller. C’est un livre pour un niveau avancé, j’ai du mal à comprendre ce succès», s’étonne l’auteur. Et pourtant, «Il s’en vend encore plusieurs milliers chaque année.»

La Saga de la loi des levées totales :
Pour écrire son best-seller The Law of Total Tricks, l’Américain Larry Cohen s’est appuyé sur un livre français bien plus confidentiel de Jean-René Vernes. «Je n’ai jamais prétendu avoir découvert la loi des levées totales. Donc au début du livre, je rendais justice à Jean-René Vernes pour son travail. Quelques années après la publication, j’ai reçu une lettre de Paris. J’avais peur qu’il me poursuive en justice. En fait, la lettre disait ceci : «Cher monsieur Cohen, Comme vous le savez, j’ai écrit sur la loi des levées totales. Je suis bien plus âgé aujourd’hui. Mes idées n’avaient pas vraiment eu de résonance mais depuis que votre livre est paru, le monde semble connaître cette théorie. J’en suis très heureux et je vous suis reconnaissant de l’avoir popularisée. Je peux maintenant mourir en paix, sachant que le monde entier connaît la loi des levées totales.»

Les livres d’apprentissage, un créneau porteur

Book

Les joueurs et professeurs ont aussi beaucoup écrit. Et certains de leurs livres sont des passages obligés. Et pour cause, ce sont ceux qui se vendent le plus. «Plus vous vous adressez à des joueurs de faible niveau, plus vous touchez de joueurs. Le marché est plus large», explique le Canadien Ray Lee, fondateur et PDG de la maison d’édition spécialisée Master Point Press.

C’est d’une conversation avec sa belle-mère, loin d’être une championne du jeu, qu’est venue l’idée de son livre n°1 des ventes. «Elle joue régulièrement un très mauvais bridge avec des amies. Un jour, je lui ai demandé sur quel sujet elle aimerait lire. Elle n’a même pas réfléchi et a répondu : les conventions

C’est ainsi qu’en 1998 est né 25 Bridge Conventions You Should Know, de Barbara Seagram et Marc Smith. Décliné ensuite en une collection de thématiques différentes, il est toujours très bien vendu. «L’année prochaine, nous allons faire une nouvelle édition. Il est temps de réviser ce livre mais il va falloir être vigilant et ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.»

Michel Lebel
Michel Lebel @D.R.

Rien que dans la version anglaise, il s’est vendu à plus de 250 000 exemplaires et a été traduit dans de nombreuses langues. «Au-delà de 300 000 exemplaires pour un livre de bridge, on peut considérer que c’est un best-seller», prévient l’éditeur. Comment qualifier dans ce cas un livre qui dépasse les 500 000 exemplaires vendus ? C’est le cas de La Majeure cinquième de Michel Lebel. Multiple champion de France et du monde, il a trouvé dans l’écriture et la pédagogie une vocation. «En 1974, Pierre Jaïs m’a demandé d’écrire un livre sur mon système. Ce système était celui que je jouais en compétition avec Paul Chemla. On l’avait mis au point pour devenir champions du monde. Pierre m’a proposé d’en faire un système grand public», se remémore l’auteur.

Bénéficiant d’un éditeur généraliste, Les Éditions du Rocher, il est à l’époque vendu dans toutes les librairies de France. Décliné ensuite en cahier d’exercices et autres titres, il définit les contours du nouveau standard français d’enchères et va pousser Michel Lebel vers l’écriture, d’abord avec Pierre Jaïs, puis seul.

En 1979, fort de cette expérience, il publie Tout le monde peut jouer au bridge, encore édité aujourd’hui. Nouveau succès, le livre atteint le nombre record du million d’exemplaires vendus. En matière de pédagogie, deux autres noms s’imposent. Ceux de Robert Berthe et Norbert Lébely.

«Écrire m’a plu. Je me suis senti capable d’expliquer et de simplifier alors qu’au départ, il est très dur pour un champion de bridge d’expliquer des choses qui soient compréhensibles par tous.» – Michel Lebel

Leurs Pas à pas ont accompagné l’apprentissage de milliers de jeunes bridgeurs. Les quatre premiers tomes sont sortis dans les années 1980, les trois derniers après 2010. «Robert était incontestablement en avance sur son temps en matière de pédagogie du jeu de la carte. Il expliquait chaque mois dans la revue du Bridgeur des donnes avec beaucoup de clarté en employant la méthode du pas à pas. Lorsque nous nous sommes connus et qu’il m’a proposé d’écrire des livres, j’ai accepté tout de suite. Cela m’intéressait énormément, ne serait-ce que pour progresser moi-même», se souvient l’ancien professeur de lettres modernes Norbert Lébely, qui a ensuite quitté l’enseignement pour se consacrer au bridge.

Pas à pas

Leur pédagogie novatrice a fait leur succès. «Cette méthode de questions-réponses était révolutionnaire à l’époque et les lecteurs l’ont adorée, car elle les fait participer et progresser dans le domaine un peu mystérieux du jeu de la carte, un domaine assez délicat à expliquer, à comprendre et à assimiler», souligne l’auteur.

versions de La Majeure cinquième en 26 langues ont été éditées.
Officiellement. Car selon son auteur, des copies pirates circulent en Indonésie, en Bulgarie et ailleurs dans le monde.

L’humour, une autre voie

Rabbit

Le jeu, même s’il reste celui de l’esprit, offre un autre terrain pour l’écriture : l’humour. Le plus grand représentant de cette branche, l’Anglais Victor Mollo, a provoqué les fous rires de générations de bridgeurs. Beaucoup de joueurs le citent comme exemple du livre qui les a marqués. À l’origine publiées dans The Bridge World et Bridge Magazine, les histoires du Lapin Lamentable, de l’Ogre Obèse, d’Oscar le Hibou et de leurs compères sont rassemblées dans la Ménagerie, paru en 1965. L’auteur y met en scène une galerie de savoureux personnages sous forme d’animaux. Inratable !

David Bird
David Bird

Marchant dans les pas de Victor Mollo, l’Anglais David Bird a, lui, placé ses personnages dans le monastère de Saint Titus. «Dans les années 1960, à l’école que je fréquentais à Londres, mes camarades étaient nerveux et apeurés par certains enseignants. J’ai repris cette idée avec les débutants craignant l’arrogant Abbot et ses réactions à leurs efforts mitigés à la table de jeu.» C’est avec l’aide de Terence Reese qu’il a commencé sa série. «J’avais du mal à vendre mon premier tome de la série sur Abbot. J’ai demandé à Terence Reese de m’écrire une préface et il m’a proposé mieux, coécrire. Nous avons finalement produit vingt livres ensemble et j’ai énormément appris sur l’écriture avec lui.» À côté de ses livres mettant en scène le personnage d’Abbot, David Bird a développé d’autres scénarios suivant un modèle similaire, avec Robin des Bois ou le couvent de Sainte Hilda.

En France, c’est l’écriture de Pierre Saporta qui se rapproche le plus de cette mouvance. S’il ne cherche pas à insister sur l’humour mais bien sur la pédagogie, il amène grâce à son récit une plus grande accessibilité. «Les livres sont techniques et le fait de présenter avec des dialogues et des personnages permet de mieux faire passer le message, de façon un peu plus souple et moins aride», explique l’auteur. Bridge magique, bridge logique, paru en 2003, continue de se vendre. En 2017, il a publié Jouez un tournoi avec moi dans lequel le lecteur s’assoit en face de l’auteur.

«Toutes les quatre donnes, ils rencontrent deux adversaires différents. On est dans un tournoi et l’idée c’est que les deux adversaires peuvent être des étrangers, des personnages que j’ai déjà rencontrés moi dans des tournois.»

Jeu de la carte, enchères, livres techniques ou amusants, il ne vous reste plus qu’à choisir les ouvrages qui vous accompagneront cet été. Mais attention, selon Ray Lee : «Les livres de bridge, c’est comme les livres de cuisine. J’aime les livres de cuisine pour deux raisons : d’abord, ils ne se démodent pas. Ensuite, même quelqu’un qui a déjà deux étagères pleines de livres de cuisine est susceptible d’aller en acheter un de plus. Les gens n’achètent pas qu’un livre de bridge.»

Les livres de chevet des bridgeurs

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Bridge dans la ménagerie

Philippe Cronier

«Celui qui a marqué ma carrière de lecteur et m’a procuré le plus de plaisir, cc’est Bridge dans la Ménagerie de Victor Mollo. C’est irrésistible. Victor Mollo était véritablement un écrivain.»

Winning Declarer Play

Larry Cohen

«Le livre qui m’a le plus marqué, c’est Winning Declarer Play de Dorothy Hayden. Je l’ai lu adolescent et non seulement il était divertissant mais j’y ai appris beaucoup. Il m’a ouvert les yeux sur les possibilités et donné envie de jouer et de lire plus sur le jeu.»

Bridge with the blue team

Pierre Saporta

«Mon meilleur bouquin ? Celui écrit par Pietro Forquet, Bridge With The Blue Team. Ce livre est une merveille. Il n’a pas été traduit en français, c’est en anglais ou en italien. Il raconte des donnes qui ont été jouées par les champions italiens des années 1960-1970, le Blue Team. Des donnes extraordinaires et élégantes qui donnent envie de jouer.»

Drôles de donnes

Nicolas Lhuissier

«Le livre que j’ai déjà lu trois fois et que je relirai sans doute encore, c’est Drôle de donnes de Vincent Labbé. Un livre avec des donnes un peu spectaculaires mises en scène avec des personnages et un ton humoristique. J’aime bien prendre une page au hasard et faire une donne quand j’ai un peu de temps.»

Bridge magique

Godefroy De Tessières

«Je ne suis pas un grand lecteur de livres de bridge. À un moment ou à un autre, j’ai quand même eu entre les mains La Majeure cinquième de Michel Lebel. En matière de jeu de la carte, il y a un livre qui m’a fasciné, probablement le seul que j’ai lu en entier, c’est Bridge magique, bridge logique de Pierre Saporta.»

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